CHAPITRE XXI
Garion ne dormit pas très bien, cette nuit-là. Il se réveilla souvent, agité de frissons au souvenir du contact des hommes de boue. Mais la nuit finit par prendre fin, comme toutes les nuits, et le jour se leva sur un matin clair et radieux. Il resta encore un moment blotti dans ses couvertures, à somnoler, jusqu’à ce que Ce’Nedra vienne lui dire de se lever.
— Garion, souffla-t-elle doucement, en lui effleurant l’épaule, tu dors ?
— Bonjour, dit-il en ouvrant les yeux et en les levant sur elle.
— Dame Polgara a dit qu’il fallait que tu te lèves. Garion bailla à se décrocher la mâchoire, s’étira, s’assit et jeta un coup d’œil de l’autre côté du rabat de la tente. Le soleil brillait.
— Elle va m’apprendre à faire la cuisine, annonça Ce’Nedra, non sans fierté.
— C’est bien, ça, répondit Garion en écartant ses cheveux.
Elle le regarda un long moment, ses yeux verts le fixant intensément dans son petit visage grave.
— Garion ?
— Oui ?
— Tu as été très brave, hier.
Il eut un petit haussement d’épaules.
— Je vais sûrement me faire disputer, aujourd’hui.
— Pourquoi ?
— Tante Pol et mon grand-père n’aiment pas que j’essaie de faire preuve de bravoure, expliqua-t-il. Ils me prennent pour un gamin, et ils ont toujours peur que je me fasse mal.
— Garion ! appela tante Pol, depuis le petit feu au-dessus duquel elle faisait la cuisine. Il me faudrait du bois !
Garion poussa un soupir et roula ses couvertures, puis il enfila ses demi-bottes, ceignit son épée et s’enfonça entre les arbres.
Il faisait encore humide sous les chênes immenses, après le déluge que tante Pol avait provoqué la veille, et il eut du mal à trouver du bois sec. Il erra un peu de-ci, de-là, tirant à lui les branches qui se trouvaient sous les arbres abattus et les roches en surplomb. Les arbres silencieux l’observaient toujours, mais semblaient, il n’aurait su dire pourquoi, moins inamicaux ce matin.
— Qu’est-ce que tu fais ? fit une petite voix, au-dessus de sa tête.
Il leva rapidement les yeux en portant la main à son épée.
Une fille était debout sur une grosse branche, juste au-dessus de lui. Elle portait une tunique nouée à la taille et des sandales, elle avait les cheveux fauves, des yeux gris au regard curieux, et les reflets verdâtres de sa peau claire révélaient une Dryade. Elle tenait un arc de la main gauche, et, de la droite, un trait encoche sur la corde tendue. La flèche était pointée droit sur Garion.
Il retira prudemment sa main de la garde de son épée.
— Je ramasse du bois, répondit-il.
— Pour quoi faire ?
— Ma tante en a besoin pour le feu, expliqua-t-il.
— Du feu ?
Le visage de la fille se durcit, et elle banda son arc.
— Un tout petit feu, reprit-il très vite. Juste pour faire la cuisine.
— On n’a pas le droit de faire du feu ici, déclara la fille d’un ton sans réplique.
— Il faudra que tu expliques ça à tante Pol, rétorqua Garion. Moi, je fais ce qu’on me dit.
Elle poussa un sifflement, et une autre fille surgit de derrière un arbre, tout près de là. Elle aussi tenait un arc. Ses cheveux étaient presque aussi rouges que ceux de Ce’Nedra, et sa peau évoquait aussi vaguement la couleur des feuilles.
— Il dit qu’il ramasse du bois pour faire du feu, rapporta la première fille. Tu crois qu’il faut que je le tue ?
— Xantha a dit que nous devions d’abord voir qui c’était, répondit pensivement la fille aux cheveux rouges. S’il s’avère qu’il n’a rien à faire ici, alors tu pourras le tuer.
— Oh ! bon, tant pis, acquiesça la fille aux cheveux ambrés, avec une évidente déception. Mais n’oublie pas que c’est moi qui l’ai trouvé. Le moment venu, c’est moi qui le tuerai.
Garion sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque.
La fille aux cheveux rouges poussa un sifflement, et une demi-douzaine d’autres Dryades armées sortirent comme par magie des arbres. Elles étaient toutes d’assez petite taille, et les ors et les rouges de leurs cheveux n’étaient pas sans rappeler la couleur des feuilles d’automne. Elles entourèrent Garion et l’examinèrent sous toutes les coutures en babillant et en gloussant.
— Il est à moi, celui-là, protesta la Dryade aux cheveux d’ambre, tout en descendant de son arbre. C’est moi qui l’ai trouvé, et Xera a dit que c’est moi qui le tuerais.
— Il a l’air en bonne santé, observa l’une des autres. Et plutôt docile. Nous pourrions peut-être le garder. C’est un mâle ?
— Regardons, nous verrons bien, répliqua une autre Dryade en gloussant.
— Je suis un mâle, riposta Garion très vite, en rougissant jusqu’à la racine des cheveux.
— C’est tout de même dommage, reprit la Dryade qui venait de parler. Nous pourrions peut-être le garder un moment avant de le tuer, non ?
— Il est à moi, répéta obstinément la Dryade aux cheveux d’ambre. Et c’est moi qui le tuerai, si je veux.
Elle s’empara du bras de Garion d’un geste possessif.
— Allons voir ses compagnons, suggéra celle qui s’appelait Xera. Ils font du feu. Il faut que nous les arrêtions.
— Du feu ? hoquetèrent les autres, en regardant Garion d’un air accusateur.
— Juste un petit feu de rien du tout, assura très vite Garion.
— Amenez-le, ordonna Xera en repartant vers les tentes, à travers les arbres.
Loin au-dessus de leurs têtes, les arbres murmuraient entre eux. Tante Pol attendait calmement dans la clairière où ils avaient planté leurs tentes. Elle regarda les Dryades massées autour de Garion sans changer d’expression.
— Bonjours, Demoiselles, dit-elle.
Les Dryades commencèrent à chuchoter entre elles.
— Ce’Nedra ! s’exclama celle qu’elles appelaient Xera.
— Cousine Xera ! s’écria Ce’Nedra, en réponse. Elles coururent l’une vers l’autre pour s’embrasser.
Les autres Dryades avancèrent un peu dans la clairière, en jetant des regards inquiets en direction du feu. Ce’Nedra expliqua rapidement à sa cousine qui ils étaient, et Xera fit signe à ses compagnes d’approcher.
— Ce sont apparemment des amis, déclara-t-elle. Nous allons les amener à ma mère, la reine Xantha.
— Est-ce que ça veut dire que je ne pourrai pas tuer celui-ci ? demanda d’un ton boudeur la Dryade aux cheveux d’ambre liquide, en tendant un doigt minuscule en direction de Garion.
— J’ai bien peur que non, déplora Xera.
La fille aux cheveux d’ambre s’éloigna en tapant du pied, boudeuse. Garion poussa un bref soupir de soulagement. C’est alors que sire Loup sortit de l’une des tentes et braqua sur la nuée de Dryades un large sourire.
— C’est Belgarath ! couina l’une des Dryades, en se précipitant vers lui d’un air joyeux.
Elle passa ses bras autour de son cou, lui tira la tête vers le bas et lui appliqua sur la joue un baiser retentissant.
— Tu nous as apporté des bonbons ? s’enquit-elle. Le vieil homme fit mine de réfléchir et commença à fouiller dans ses nombreuses poches. Des petits morceaux de sucrerie commencèrent à apparaître pour disparaître aussi vite, les Dryades qui s’agglutinaient autour de lui comme un essaim s’en emparant aussi vite qu’il les tirait de ses vêtements.
— Tu as de nouvelles histoires à nous raconter ? questionna l’une des Dryades.
— Des tas, assura sire Loup en mettant le bout de son doigt sur le côté de son nez, d’un air rusé. Mais je pense qu’il vaudrait mieux attendre que vos sœurs puissent les entendre aussi, non ?
— Nous en voulons une tout de suite, rien que pour nous, décréta la Dryade.
— Et qu’est-ce qu’on me donnera en échange de cette histoire spéciale ?
— Des baisers, proposa rapidement la Dryade. Cinq baisers de chacune d’entre nous.
— J’ai une excellente histoire, marchanda sire Loup. Elle en vaut plus de cinq. Disons dix.
— Huit, négocia la petite Dryade.
— Très bien, accepta sire Loup. Huit, ça me paraît pas mal.
— Je vois que tu es déjà venu dans le coin, vieux Loup solitaire, remarqua sèchement tante Pol.
— Je viens leur rendre visite de temps en temps, convint-il en affectant l’indifférence.
— Les bonbons ne leur valent rien, tu sais, le gronda-t-elle.
— Une petite gâterie de temps en temps ne peut pas leur faire de mal, Pol. Et elles aiment tellement ça. Une Dryade ferait n’importe quoi pour des douceurs.
— Tu es écœurant, conclut-elle.
Les Dryades étaient presque toutes réunies autour de sire Loup, maintenant, et faisaient penser à un jardin de fleurs printanières. Presque toutes, parce que celle aux cheveux d’ambre liquide qui avait capturé Garion se tenait un peu à l’écart des autres, et tripotait d’un air boudeur la pointe de sa flèche. Elle s’approcha finalement de Garion.
— Tu n’as pas l’intention d’essayer de t’enfuir ? lui suggéra-t-elle, l’air plein d’espoir.
— Jamais ! proclama Garion avec emphase. Elle poussa un soupir navré.
— J’imagine que tu ne ferais pas ça, disons, par faveur spéciale pour moi ? essaya-t-elle encore.
— Je regrette, s’excusa-t-il.
Elle poussa un nouveau soupir, plus amer, cette fois.
— Je ne peux jamais m’amuser, se lamenta-t-elle avant de rejoindre les autres.
Silk émergea de sa tente, lentement et précautionneusement. Et lorsque les Dryades se furent habituées à lui, Durnik fit son apparition à son tour.
— Ce ne sont que des enfants, n’est-ce pas ? commenta Garion, à l’intention de tante Pol.
— C’est ce qu’on dirait, en effet, répondit-elle, mais elles sont bien plus âgées qu’elles n’en ont l’air. Une Dryade vit aussi longtemps que son arbre, et les chênes vivent très, très vieux.
— Où sont les garçons ? demanda-t-il. Je ne vois que des filles.
— Il n’y a pas de Dryades garçons, mon chou, lui expliqua-t-elle en retournant à sa cuisine.
— Alors comment... ? Je veux dire... commença-t-il. Mais il préféra ne pas insister ; il avait déjà les oreilles toutes rouges.
— Pour ça, elles capturent des mâles humains, l’éclaira-t-elle. Des voyageurs, des gens comme ça.
— Oh.
Il décida de laisser tomber la question.
Lorsqu’ils eurent pris leur petit déjeuner et soigneusement éteint le feu avec de l’eau tirée du ruisseau, ils se remirent en selle et repartirent à travers la Sylve. Sire Loup marchait en avant, les petites Dryades toujours groupées autour de lui, riant et bavardant comme des enfants heureuses. Le murmure des arbres autour d’eux n’était plus hostile, et leur avance était accompagnée par le doux bruissement d’un million de feuilles.
Ils arrivèrent vers la fin de l’après-midi à une vaste clairière au milieu de la Sylve. Un arbre unique se dressait au centre, un arbre si gros que Garion avait du mal à accepter l’idée que quelque chose de si énorme puisse être vivant. De véritables cavernes s’ouvraient çà et là dans son tronc moussu, et ses branches basses, aussi larges que des grand-routes, couvraient presque toute la clairière. Il émanait de l’arbre une impression de pérennité, de sagesse et de longanimité. Garion sentit une tentative d’approche de son esprit, un peu comme si une feuille lui effleurait doucement le visage. Le contact ne ressemblait à rien de ce qu’il avait pu connaître, mais il semblait bienveillant.
L’arbre grouillait littéralement de Dryades, qui nimbaient les branches comme des bourgeons, et leur rire et leurs bavardages enfantins emplissaient l’air, pareils à des chants d’oiseaux.
— Je vais dire à ma mère que vous êtes arrivés, annonça celle qu’on appelait Xera en se dirigeant vers l’arbre.
Garion et ses compagnons mirent pied à terre et restèrent plantés à côté de leurs chevaux, incertains sur la conduite à tenir. Les Dryades perchées au-dessus de leurs têtes plongeaient sur eux des regards curieux en chuchotant entre elles avec force gloussements.
Pour une raison ou une autre, les regards directs, enjoués, que les Dryades braquaient sur lui mettaient Garion mal à l’aise. Il se rapprocha de tante Pol et remarqua que les autres en faisaient autant, comme si, inconsciemment, ils recherchaient sa protection.
— Où est la princesse ? demanda-t-elle.
— Par ici, Dame Pol, répondit Durnik. Elle rend visite à ce groupe de Dryades.
— Ne la perdez pas de vue, surtout, ordonna tante Pol. Et où est mon vieux débauché de père ?
— Près de l’arbre, révéla Garion. Les Dryades ont l’air de bien l’aimer, dis donc.
— Le vieil imbécile, laissa tomber tante Pol, d’un ton tragique.
Puis une autre Dryade sortit d’un creux de l’arbre, un peu au-dessus des premières grosses branches. Mais au lieu de la courte tunique que portaient les autres, elle était vêtue d’une longue robe verte, et ses cheveux d’or étaient retenus par un anneau de quelque chose qui ressemblait à du gui. Elle se laissa gracieusement glisser vers le sol.
Tante Pol s’avança à sa rencontre, et les autres la suivirent à distance respectueuse.
— Chère Polgara, s’exclama la Dryade d’un ton cordial. Ça fait tellement longtemps.
— Nous avons tous nos obligations, Xantha, expliqua tante Pol.
Elles s’embrassèrent chaleureusement.
— Seraient-ce des présents ? demanda la reine Xantha en regardant avec admiration les hommes debout derrière tante Pol.
— Malheureusement non, répondit celle-ci en riant. Je voudrais bien pouvoir vous les laisser, mais je crains d’en avoir besoin plus tard.
— Tant pis, soupira la reine, faussement désolée. Bienvenue à tous, les salua-t-elle. Vous allez partager notre souper, bien sûr.
— Avec le plus grand plaisir, acquiesça tante Pol, avant de prendre le bras de la reine. Mais pourrions-nous d’abord nous entretenir un moment, Xantha ?
Elles s’écartèrent un peu et échangèrent quelques paroles, tandis que les Dryades tiraient des sacs et des fardeaux des creux de l’arbre et commençaient à préparer un festin sur l’herbe, sous les larges branches.
Le repas leur faisait une impression bizarre, la nourriture de base des Dryades semblant uniquement constituée de fruits, de noix et de champignons, dont aucun n’était cuit. Barak s’assit et braqua un regard lugubre sur les mets offerts.
— Pas de viande, grommela-t-il.
— Ça t’échauffe le sang, n’importe comment, le consola Silk.
Barak plongea les lèvres dans sa tasse d’un air circonspect.
— De l’eau, grimaça-t-il, comme si ses pires craintes se trouvaient confirmées.
— Ça vous changera d’aller vous coucher autrement qu’ivre mort, pour une fois, observa tante Pol en les rejoignant.
— Je suis sûr que ça n’est pas bon pour la santé, rumina Barak.
Ce’Nedra s’assit près de la reine Xantha. Elle avait apparemment quelque chose à lui dire, mais comme il n’y avait pas moyen de le faire en privé, elle finit par parler devant tout le monde.
— J’ai une faveur à vous demander, Votre Grandeur.
— De quoi s’agit-il, mon enfant ? s’enquit la reine en souriant.
— Ce n’est qu’une petite chose, précisa Ce’Nedra. J’ai besoin d’un asile pendant quelques années. Mon père devient de plus en plus excentrique avec l’âge, et il est indispensable que je m’en tienne à l’écart tant qu’il n’aura pas repris ses esprits.
— Et comment se manifeste l’excentricité croissante de Ran Borune ? interrogea Xantha.
— Il ne veut pas me laisser quitter le palais, et il insiste pour que j’aille à Riva pour mon seizième anniversaire, révéla Ce’Nedra d’un ton outré. A-t-on jamais entendu une chose pareille ?
— Et pourquoi veut-il vous envoyer à Riva ?
— Une histoire de traité stupide, dont personne ne se rappelle au juste la raison d’être.
— Si c’est un traité, il faut l’honorer, ma chère petite, affirma doucement la reine.
— Je n’irai pas à Riva, décréta Ce’Nedra. Je resterai ici jusqu’après mon seizième anniversaire, et voilà tout.
— Non, ma chère petite, déclara fermement la reine. C’est impossible.
— Comment ?
Ce’Nedra n’en croyait pas ses oreilles.
— Nous avons nous aussi des engagements à respecter, expliqua Xantha. Notre accord avec la maison de Borune est des plus explicites. L’intégrité de notre Sylve n’est garantie que pour autant que les descendantes de la princesse Xoria demeurent parmi les Borune. Il est de votre devoir de rester auprès de votre père et de lui obéir.
— Mais je suis une Dryade, gémit Ce’Nedra. Je suis ici chez moi.
— Vous êtes aussi humaine, souligna la reine, et votre place est auprès de votre père.
— Je ne veux pas aller à Riva, protesta Ce’Nedra, c’est humiliant.
Xantha braqua sur elle un regard inflexible.
— Ne soyez pas stupide, ma chère petite, la rabroua-t-elle. Votre devoir est clair. Vous avez des obligations en tant que Dryade, en tant que Borune et en tant que princesse impériale. Vos petits caprices puérils ne sont pas de mise. Si vous êtes tenue d’aller à Riva, eh bien, vous irez. Vous ne pourrez pas faire autrement.
Ce’Nedra parut ébranlée par la fermeté du ton de la reine, et s’absorba après cela dans un silence morose. Ce fut le moment que choisit la reine pour se tourner vers sire Loup.
— On entend bien des rumeurs, au-dehors, confia-t-elle. Et de toutes celles qui nous sont revenues aux oreilles, une, persistante, nous porte à penser qu’il se passe actuellement, dans le monde des hommes, des événements d’une portée incalculable, et qu’il se pourrait même que ceux-ci aient une influence sur l’existence du peuple de la Sylve. Je pense que j’ai le droit de savoir de quoi il retourne.
Sire Loup hocha gravement la tête.
— C’est bien mon avis, acquiesça-t-il. L’Orbe d’Aldur a été dérobée dans la salle du trône du roi de Riva par Zedar l’Apostat.
— Comment ? demanda Xantha, en retenant son souffle.
— C’est ce que nous ignorons, répondit sire Loup, en écartant les mains dans un geste d’impuissance. Zedar tente maintenant de regagner les royaumes angaraks avec l’Orbe. Une fois là-bas, il tentera de mettre son pouvoir à profit pour réveiller Torak.
— Il ne faut pas que cela se produise, souffla la reine. Qu’a-t-on fait pour empêcher cela ?
— Les Aloriens et les Sendariens s’apprêtent à prendre les armes, révéla sire Loup, et les Arendais nous ont assuré de leur appui. Mais Ran Borune, qui a été informé, n’a fait aucune promesse. Les Borune ne sont pas toujours d’un commerce facile.
Il jeta un coup d’œil en direction de Ce’Nedra, qui boudait de plus belle.
— Ce serait donc la guerre ? reprit tristement la reine.
— Je le crains fort, Xantha. Nous sommes, mes compagnons ici présents et moi-même, à la poursuite de Zedar, et j’espère que nous parviendrons à le rattraper et à lui reprendre l’Orbe avant qu’il ne réussisse à atteindre Torak avec. Mais même si nous y parvenons, il est à craindre que les Angaraks n’attaquent le Ponant, par pur désespoir. Certaines anciennes prophéties approchent de leur accomplissement, tous les signes viennent le confirmer. Des signes que même les perceptions abâtardies des Grolims peuvent déchiffrer.
— Nous avons nous-même discerné certains de ces signes, Belgarath, confirma la reine, dans un soupir. Mais nous espérions nous tromper. A quoi ce Zedar ressemble-t-il ?
— Il me ressemble beaucoup. Nous avons très longtemps servi le même Maître, et cela imprime sa marque sur les individus.
— Quelqu’un dans ce genre-là est passé, la semaine dernière, par les marches supérieures de notre Sylve, et a pénétré en Nyissie, l’informa Xantha. Si nous avions su, nous aurions pu le retenir.
— Nous sommes donc plus près de lui que je ne pensais. Il était seul ?
— Non. Il était accompagné de deux serviteurs de Torak, et d’un enfant.
— Un enfant ? répéta sire Loup, surpris.
— Oui. Un petit garçon, de six ans environ.
Le vieil homme fronça les sourcils, puis il écarquilla les yeux.
— C’est donc ainsi qu’il s’y est pris, s’exclama-t-il. Je n’y aurais jamais songé.
— Nous pouvons vous faire voir où il a traversé la rivière pour entrer en Nyissie, proposa la reine. Mais nous devons vous avertir qu’il ne serait pas prudent pour un groupe aussi important de s’y engager. Salmissra a des yeux partout dans ces marécages.
— J’ai déjà tout prévu à ce sujet, assura sire Loup. Vous êtes absolument certain que le bateau nous attendra bien à l’embouchure de la rivière de la Sylve ? demanda-t-il, en se tournant vers Barak.
— Il y sera, gronda Barak en réponse. Son capitaine est un homme de confiance.
— Parfait. Nous continuerons, Silk et moi, à filer Zedar, pendant que vous autres, vous suivrez la rivière jusqu’à la mer, puis vous longerez la côte en bateau et vous prendrez la rivière du Serpent jusqu’à Sthiss Tor. Nous nous retrouverons là-bas.
— Penses-Tu, ô vénérable Belgarath, qu’il soit bien sage de nous séparer dans un endroit aussi périlleux que la Nyissie ? demanda Mandorallen.
— Il n’y a pas moyen de faire autrement, répondit sire Loup. Le Peuple Serpent est chez lui dans la jungle, et il n’aime pas les étrangers. Nous serons plus libres de nos mouvements et nous nous déplacerons plus rapidement tout seuls, Silk et moi.
— Où nous retrouverons-nous ? s’enquit Barak.
— Il y a un comptoir drasnien sur les quais de Sthiss Tor, suggéra Silk. J’y compte plusieurs amis parmi les négociants. Demandez simplement Radek de Boktor. Si nous ne pouvons pas venir, je vous ferai parvenir, par l’intermédiaire des marchands, une indication de l’endroit où nous retrouver.
— Et moi ? fit Ce’Nedra.
— Je crois qu’il va falloir que vous restiez avec nous, déclara tante Pol.
— Je n’ai rien à faire en Nyissie, rétorqua Ce’Nedra.
— Vous viendrez parce que je vous le dis, répliqua tante Pol. Je ne suis pas votre père, Ce’Nedra. Vos petits airs boudeurs ne me brisent pas le cœur, et vos cils papillonnants ne m’impressionnent pas davantage.
— Je m’enfuirai, menaça Ce’Nedra.
— Ce ne serait vraiment pas malin, riposta fraîchement tante Pol. Il faudrait que je vous récupère et vous ne trouveriez pas ça très agréable. Les problèmes du monde qui nous entoure revêtent une telle gravité actuellement que vos caprices d’enfant gâtée ne pèsent pas lourd à côté. Vous resterez avec moi, et vous vous présenterez à la cour du roi de Riva le jour de votre seizième anniversaire, même s’il faut pour cela que je vous y traîne enchaînée. Nous avons tous des choses beaucoup trop importantes à faire en ce moment pour nous permettre de vous ménager plus longtemps.
Ce’Nedra la regarda fixement, puis elle éclata en sanglots